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Le Blog Autre
29 août 2006

Deux jeux vidéo nihilistes : Target; Renegade & Alien Shooter

     Dans ce troisième article du Blog Autre (12 millions de visiteurs depuis sa création le 1er août dernier, au passage… Je veux pas me vanter mais… euh… attendez… je consulte à nouveau les statistiques de fréquentation… J’ai fait une petite erreur de lecture, excusez-moi… En réalité, depuis le 1er août, le Blog Autre a été lu par… euh… 12 personnes… Bon, passons…), dans ce troisième article, donc, j’ai l’intention de vous toucher quelques mots d’un jeu vidéo édité par la société Imagine dans la deuxième moitié des années 80 pour les ordinateurs Amstrad CPC, à savoir Target; Renegade.


Target_Renegade_01


     Target; Renegade appartient au genre du « beat’em all » (littéralement : « frappez-les tous ») qui consiste à décimer des déferlantes d’ennemis au fil des différents niveaux. Cette définition suffit amplement pour comprendre en quoi consiste le soft d’Imagine. Car le héros incarné par le joueur (ou les héros puisqu’il est possible de jouer à deux) a pour simple mission de débarrasser les cinq levels du jeu de toute la racaille qui les peuple ; des hordes de salopards dont la raison d’être est d’empêcher ledit héros d’accéder au QG du méchant final qui, une fois tué, marque le terme de l’équipée du joueur et consacre sa victoire. Autrement dit, dans Target; Renegade, tout ce qui n’est pas moi est un ennemi et tout ennemi doit être liquidé. Pour cela, je dispose d’une panoplie de coups relativement étoffée, empruntés aux différents sports de combat : coup de pied sauté, coup de pied retourné ou bien simples pains dans la tronche. J’ai aussi la possibilité d’utiliser les armes dont se servent mes adversaires pour tenter de me terrasser (maillet, fouet, gourdin, etc.). Je peux même avoir recours à des procédés totalement crapuleux comme briser les roubignoles d’un mec à l’aide de coups de genou rageurs ou achever au sol un ennemi que je viens d’envoyer au tapis par le biais d’une méchante série de mandales.

     Le premier niveau se déroule dans un obscur parking souterrain où des Hells Angels (certains sont sur leur moto) déboulent par dizaines pour faire la peau du petit connard en rouge qui ose s’introduire sur leur territoire.


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     Le deuxième niveau confronte le joueur à des prostituées blondes extrêmement agressives. Certaines d’entre elles n’hésitent pas à utiliser des fouets. Leur maquereau se pointe de temps en temps pour leur filer un petit coup de main. Cet enfoiré est armé d’un flingue ! (Il te touche et tu perds carrément une vie.)


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     Puis le joueur se retrouve dans un parc où il est opposé à deux types d’adversaires : des petites frappes écervelées qui jouent du coup de boule et des culturistes habillés de casquettes et de fuseaux vert fluo que l’on pourrait croire tout droit sortis de la boîte gay la plus proche.


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     Face-à-face ensuite avec une mystérieuse bande dont les membres sont vêtus de gilets sur lesquels est imprimée la lettre S (certaines de ces fripouilles sont capables d’éviter les coups de pied sautés) et qui sont accompagnés de molosses hyper méchants à coté desquels des rottweillers passent pour des écureuils.


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     Le joueur se pointe alors dans un bar où il fait la connaissance de sympathiques piliers de comptoirs qui ne se contentent pas d’essayer de l’empaler avec des queues de billards mais qui adorent aussi le soulever de terre pour lui donner de grands coups de boule dans la tronche !


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     La confrontation finale peut alors avoir lieu dans une salle de jeux contre une armoire à glace qui a des troncs de baobab à la place des deux bras.


Target_Renegade_13


     Évidemment, les captures d’écran que vous venez de voir vous ont bien fait marrer. Car à coté des flamboyants spectacles proposés par les consoles et ordinateurs d’aujourd’hui, Target; Renegade ne peut que susciter la pitié. Pourtant, presque vingt ans après sa sortie, il reste encore très fun à jouer et pourrait en remontrer à bien des beat’em all de ce 21ème siècle naissant. Avec son rythme rapide et la simplicité de ses commandes qui le rendent extrêmement maniable, parcourir les cinq niveaux en cognant sur les vermines qui se présentent à soi s’avère un véritable plaisir. À deux joueurs, les ennemis voient leur nombre augmenter. On frôle alors l’éclate absolue, d’autant qu’il est possible de tabasser son collègue à n’importe quel moment.

     Target; Renegade est également une vraie réussite sur le plan artistique. Oui oui. Ne vous laissez pas abuser par des graphismes que l’on ne peut que qualifier de misérables en comparaison des tours de force techniques que représentent certains jeux aujourd’hui (tout est relatif et à l’époque, Target; était considéré comme beau). C’est surtout au niveau de l’ambiance que le titre d’Imagine vaut son pesant de cacahuètes, ce dont les images du dessus ne rendent pas forcément compte. Les lieux malfamés où se déroulent les levels (parking souterrain, ruelles sordides, parc chelou, troquet nauséabond), l’engeance de la rue à laquelle est opposée le joueur (loubards, motards, mafieux, putes, proxénètes, etc.), les dominantes vert terreux et bleu délavé, la musique tantôt mélancolique tantôt impétueuse, tous ces éléments participent à la confection d’une atmosphère urbaine craspec absolument fascinante qui fait carrément penser aux films de la blaxpoitation ou à certaines séries B de Roger Corman.    

     Mais Target; Renegade est avant tout une œuvre d’une violence inouïe. Il contredit l’idée selon laquelle les jeux vidéo se sont durcis au fil des années et que ceux d’aujourd’hui constituent le paroxysme de la brutalité et de la décadence. Si l’association Familles de France avait appris l’existence de Target;, elle aurait tout simplement porté plainte devant la Ligue des droits de l’homme. Et si un p’tit jeune de maintenant, de ceux qui croient que le jeu vidéo est né avec la Playstation, devait tomber un jour sur lui, il s’en détournerait aussitôt, impressionné jusqu’au haut-le-cœur par sa bestialité jusqu’au-boutiste.

     D’abord, Target; Renegade est dépourvu de la moindre scène d’intro explicative. Il n’est même pas scénarisé. Sa violence est donc totalement gratuite puisque c’est sans la moindre raison l’on doit fracasser les êtres vivants qui se dressent sur son passage. Cette absence de justification de la force le place au dessus des oppositions simplificatrices bons/méchants et bien/mal ; il met juste en scène des gens qui se foutent sur la gueule par pur plaisir. Rares sont les créations – tous domaines artistiques confondus – qui auront poussé la sauvagerie et l’anti-manichéisme aussi loin. De plus, par choix de gameplay ou par limitation technique, les niveaux sont dirigistes. La liberté de mouvement est quasiment inexistante. Quand tu avances et passes à l’écran suivant, il est impossible pour toi de revenir sur tes pas. Et il t’est impossible également, si les ennemis se montrent un peu trop nombreux à ton goût, de prendre la poudre d’escampette en zigzagant entre eux. Aussi, dans Target; Renegade, il faut tuer tout le monde pour progresser. Tu n’échapperas pas à la boucherie. C’est toi ou c’est eux. Enfin, le fait que l’on s’attaque à des cibles dites vulnérables, comme des femmes, des animaux ou encore des adolescents (la bande du quatrième niveau est composée entre autres de gamins se regroupant dans des salles d’arcade) renforce l’aspect amoral et hard-boiled du jeu. Comme la possibilité, lorsque l’on évolue à deux, de s’en prendre à son partenaire à tout moment en lui donnant, par exemple, un vicieux coup de pied par derrière pendant qu’il se bat farouchement contre plusieurs ennemis.

     Cerise sur le gâteau (et quelle cerise !) : lorsque le joueur se débarrasse du boss final (le colosse qui a des troncs de baobab à la place des bras), il n’a droit à aucune séquence conclusive au terme de laquelle défilent les noms des programmeurs. Pas du tout. Il se retrouve simplement au tout début du jeu, dans le parking souterrain face aux Hells Angels barbus, et est invité à se retaper les cinq niveaux dans leur intégralité jusqu’à se représenter devant le baobab humain et, en cas de victoire, se faire catapulter à nouveau dans le parking initial. Autrement dit, Target; Renegade n’a pas de fin. Ou alors, si fin il y a, c’est lorsque le joueur crève, épuisé et lassé par ces combats à répétition. J’aurais bien envie de chanter le « Noir c’est noir » de Johnny Halliday, là…


Target_Renegade_14


     Cette construction cyclique du jeu lui donne une portée philosophique incroyablement profonde, dans la lignée de la pensée de Nietzsche et de Schopenhauer, ainsi que dans celle du film 2001 : L’Odyssée de l’espace de Stanley Kubrick, dans lequel la violence est présentée comme le fondement de notre civilisation. Reprenant ce principe à son compte, Target; Renegade rappelle d’abord que, de tous les types d’attitude humaine, la violence est celle qui définit l’homme intrinsèquement. Débarrassé d’elle, celui-ci perdrait automatiquement son identité humaine et deviendrait autre chose. Pour faire plus simple, l’homme est homme uniquement parce qu’il est violent. La réflexion devient alors eschatologique : ce que Target; Renegade nous jette en effet à la figure, c’est que l’être humain est foutu, quoi qu’il fasse. Car cette violence essentielle est incompatible avec le concept de civilisation. Et qu’un jour ou l’autre, elle arrivera à bout de tous les efforts des individus pour construire un monde meilleur, pacifiste et harmonieux, et rayera l’humanité de la surface de la planète. On atteint là un degré de pessimisme vertigineux. Mine de rien, avec ses graphismes dépassés et ses petits bonhommes qui s’étripent joyeusement, Target; Renegade est l’œuvre la plus sombre de toute l’histoire de l’art, quelles que soient les disciplines.

     Dans le même style, il existe un jeu presque aussi extrême et désespéré que Target;, que m’a fait découvrir un proche au comportement et aux paroles étranges (ce curieux individu mériterait que lui soit consacré un article entier dans le Blog Autre). Ce jeu, c’est Alien Shooter, développé par Sigma Team, disponible uniquement sur Internet. Sa démo gratuite peut être téléchargée à l’adresse suivante : http://www.sigma-team.net/overview.htm


Alien_Shooter_1


Alien_Shooter_2


     Alien Shooter appartient à la catégorie des « shoot’em up ». Le but de ce genre de jeu est identique à celui du « beat’em all » puisqu’il s’agit dans les deux cas d’occire des dizaines, des centaines, des milliers d’ennemis hostiles qui déferlent par vagues. Mais les moyens utilisés pour faire le ménage ne sont pas les mêmes : dans le beat’em all, les avatars ne se servent que de leurs pieds, de leurs poings et d’armes blanches, tandis que dans le shoot, ils ont des flingues dans les mains. Subtile différence, n’est-ce pas ?

     Le principe d’Alien Shooter est aussi simple que son titre l’indique (« casseur d’aliens » en français). Dans un environnement futuriste, un homme (ou une femme, selon le choix du joueur) doit littéralement purifier les différents environnements où il met les pieds de tout un tas de bébêtes à deux pattes extrêmement hargneuses ayant investi les lieux. La palette d’actions du héros est extrêmement réduite puisqu’il ne sait pas faire autre chose que tirer : ses deux bras sont continuellement tendus devant lui et l’unique geste qu’il se permet d’accomplir est d’appuyer sur les gâchettes des guns qu’il serre dans ses mains. Quant aux méchantes bestioles, elles ont deux particularités par rapport aux adversaires de base d’un jeu vidéo : 1) Elles n’attendent pas sagement que le casseur d’aliens vienne à elles pour les buter ; c’est elles qui se déplacent vers lui dans le but de le dévorer ; 2) Elles sont nombreuses, vraiment très nombreuses, innombrables même ; plus on en dégomme, plus leur quantité augmente autour de soi ; au bout d’un moment, voir ces hordes de saloperies multicolores débouler indéfiniment des quatre coins de l’écran pour se ruer sur son personnage met incroyablement mal à l’aise (on se croirait presque dans la fameuse scène de Starship Troopers de Paul Verhoeven où une base humaine est assaillie par des milliers d’arachnides déchaînés).

     Tout comme Target; Renegade, Alien Shooter conclut à la nature fondamentalement violente de l’homme et, dans l’élan de ce constat cruellement réaliste, annonce l‘annihilation prochaine de l’humanité. Son originalité consiste dans l’inversion des rôles qu’il propose. Car dans ce jeu, la bête primitive n’est pas cet extraterrestre bizarroïde qui se reproduit à l’infini mais bel et bien l’individu que le joueur manipule, ce bourrin surarmé qui massacre impassiblement des cohortes entières de monstres sans jamais présenter le moindre signe de lassitude ou de dégoût. Les créatures d’Alien Shooter ne servent qu’à mettre en relief la barbarie de ce psychopathe aveugle ; elles ne sont que le miroir de la bestialité constitutive de l'homme. Ce que ce jeu dévoile au joueur, en fin de compte, c’est que l’être humain n’est qu’un animal individualiste et décadent qui travestit sa nature réelle derrière ce leurre qu’est la civilisation. L’homme n’a aucune dimension sociale. Celle-ci n’est qu’un mensonge. La science anthropologique ne sert à rien. Bref, on va tous crever.

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Commentaires
U
Le vieux Pad, il ne faut pas être aussi sévère que ça avec ton grand frère. J'imagine que celui-ci n'avait tout simplement pas envie de se lancer dans une partie de Double Dragon avec un gnome qui ne savait pas jouer et accumulait les conneries en tous genres (comme frapper lâchement le personnage du grand frère, le jeter dans des trous ou le laisser affronter tous les ennemis jusqu'à ce qu'il crève - tout cela est maintes fois arrivé).<br /> <br /> Au passage, j'ai réécouté Atom Heart Mother de Pink Floyd l'autre jour. Avec ce titre, on est au-delà de la pop ou du rock. Il s'agit carrément de musique contemporaine. Et l'écriture est d'une profondeur telle qu'il est tout simplement impossible qu'elle soit l'oeuvre de quatre pauvres rednecks venus d'Irlande. Je pense que c'est Alan Parsons qui a composé ce morceau (comme par hasard, il est crédité sur l'album en tant qu'ingénieur...).
L
Sans conteste le meilleur article du blog pour l'instant. Et je confirme : ce type de jeu est une autre démonstration des pulsions de mort qui nous animent (avec cette vertigineuse compulsion de répétition dont tu as parlé). Cela m'évoque d'ailleurs un épisode de mon enfance : un petit garçon qui attend impatiemment son tour à la borne d'arcade du café de la gare (double dragon, quelle coïncidence!) mais qui se fait sans cesse envoyer paître par son grand frère.
J
D'accord, merci pour le renseignement. Je n'avais pas lu le message au complet et là je l'ai fait, et je trouve d,ailleurs très triste que tu es un si si vaste vocabulaire mais que tu l'emploies pour dire qu'on va tous crever, lol, scuse-moi, je ne suis pas là pour te juger, enfin si, si tu veux être sur mon blog mais... laisse tomber. Je vais te présenter à mon blog dans quelques minutes.
U
Hello, July.<br /> <br /> Bien qu'ils soient sortis quasiment à la même époque et que leur concept est à peu près identique (péter la tronche à des petits salopiauds sur plusieurs niveaux), Target; Renegade et Double Dragon sont deux jeux différents. J'ignore lequel à précédé l'autre mais on peut considérer Target; comme une version underground et dark du genre du beat'em all tandis que Double Dragon en serait une incarnation proprette et mainstream.
J
J'ai déjà joué à ce jeu au Sega! Suf que moi ça s'appelait Double dragon.
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